L’if de la mémoire historique.

Rue des Comtes de Robiano à Braine-le-Château, on longe un mur d’enceinte en briques rouges. Le pied large et très ramifié d’un if est visible au-dessus du rempart crénelé. Le tronc central, qu’enserre une couronne de branches basses élaguées, émerge tout droit. L’écorce est rousse et se desquame par fins rubans. L’arbre se distingue mieux en hiver, plus isolé, sa forme conique, presque régulière, mise en évidence. Vu du bas, son feuillage est hirsute et d’un vert ténébreux. Un panneau explicatif placardé au mur nous apprend que l’if fut planté en 1568 par Martin de Hornes en souvenir de Philippe de Montmorency, comte de Hornes, décapité à Bruxelles sur l’ordre du duc d’Albe. Les mots évoquent donc non seulement que l’homme abattu appartient à l’histoire mais que l’événement a entraîné l’acte, à coup sûr très respectueux, de faire monter du sol une vie qui serait à la fois signe macabre — l’if, le « todesbaum » vénéneux est familier des cimetières –, et promesse de perpétuation pour honorer dans son défi la figure emblématique de l’homme iniquement exécuté — puisque parmi les arbres l’if est doué d’une croissance des plus lentes, si durable qu’elle peut paraître éternelle. Par la poussée constante de la matière vivante, au cours d’un antagonisme jamais conclu entre l’angoisse et la sérénité, comme entre le souvenir de ce qui fut tronçonné, le corps, et l’espoir projeté sur ce qui va continuer à vivre, on voit que l’if et l’image de l’homme sont intimement unis, voire confondus, dans le seul plaisir d’imaginer l’immortalité, et c’est sans doute aussi pourquoi il a fallu retrancher à l’arbre la part de son volume qui aurait pu, en contradiction, l’étouffer. (1983)

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