Ils encadrent l’entrée du sentier abrupt au bas du bosquet qui tapisse un morceau de colline: à droite le hêtre s’élance très haut par-dessus quelques marches et la réserve de bois de chauffage, à gauche le châtaignier à l’écorce rainurée a couvert le sol de ses grandes feuilles roussies et dentelées. A mi-pente le plus fort, le hêtre au socle de rondeurs emmêlées, dont certaines soulèvent l’asphalte du sentier, porte sous les bosses du tronc des messages illisibles qui s’incrustent ou qui bavent de la peinture blanche. Les enfants ont jeté aux alentours leurs restes: des canettes piétinées aux couleurs vives. Chaque fois que je repasserai drève du Tastevin, les deux hêtres et le châtaignier, confidents dépouillés, témoins silencieux et d’autant plus sincères, rappelleront l’absence inopinée et ce qui nous manque de n’avoir pu exprimer encore un peu de tendresse et de gratitude. Je me souviendrai du matin où je suis monté vers la drève de Touraine… Les rues étaient toutes verglacées, un ouvrier de la voirie qui jetait du sel avec le geste du semeur bafouilla à mon intention des propos incohérents qui parlaient de malheur, d’accidents, or du malheur il y en avait là-haut, et je ne sais pas comment Patricia qui m’avait distancé avait pu marcher si vite malgré les intempéries, elle avait déjà sauté dans l’ambulance auprès de Catherine, sa maman, emmenée vers un improbable salut. Si trois arbres parmi d’autres ne résument pas la vie, trois grands arbres qui dominent les toits de tuiles rouges de la Cité Messidor où c’est aussi vers son enfance que Patricia courait et où quelque chose tantôt se déchira qui noyait de sang la source de l’origine, trois arbres droits et sombres nous incitent, entre enfance et mort, à reconnaître que simplicité, gentillesse et vitalité sont trois vertus primordiales, maternelles par essence. Catherine les incarnait dans l’émotion, dans les gestes quotidiens, les échos familiers de manière aussi évidente que la cime des trois plus grands arbres là-bas se déploient au-dessus des petites maisons de Messidor dont tous ceux qui la connurent disent que Catherine fut une des habitantes les plus aimables. Ils la voyaient si souriante, si alerte, et malgré tant de simplicité tellement présente, que par les qualités qu’elle personnifiait mieux que nous, déjà l’absence se repeuple, et sous les arbres qui sans doute la saison prochaine seront à nouveau touffus et amènes, peut-être monterons-nous plus courageux vers l’incertain espoir. (2002)