Quand au sortir du village de Braine-le-Château, je cahote sur les pavés presque toujours gluants d’humidité boueuse, par l’étroit chemin qui se faufile entre deux versants abrupts, où la terre s’effrite en fine poussière, où tant bien que mal les arbres et les buissons poussent de guingois, je vais d’abord regarder le tilleul d’en bas: il se dresse au sommet du talus, à l’extrême bord d’une pente sablonneuse inabordable. La moitié de ses racines a été dégagée par les eaux de ruissellement, et dans l’ouverture qui ressemble à une grotte, leurs enlacements me fascinent par l’effort de retenue que je leur prête, tandis que pèse au-dessus de moi la masse penchée de l’arbre. Après je grimpe le sentier qui mène en oblique raide à la chapelle, ainsi je n’arrive jamais auprès du tilleul qu’essoufflé, là une touffe drue de jeunes pousses à grandes feuilles me sépare encore de lui. J’aimerais pourtant atteindre l’autre côté de son tronc brun clair, approcher au fil du vide la matière grise de ses racines dénudées… Je ne peux que spéculer sur l’aptitude à survivre de l’arbre perché au-dessus du ravin. Est-ce un signe d’effort si ses branches sont si noueuses, ponctuées de petites boursouflures noirâtres, un peu cagneuses ? Les mots que j’en dis en rêvant sont formulés dans la douceur de l’air, qui si léger soit-il fait trembler le tilleul… D’une maison voisine, enfouie dans la végétation, un chien s’égosille à dénoncer ma présence. Pourquoi mes allées et venues seraient-elles importunes ? Mon esprit cherche à mieux discerner une figure cohérente dans le défi d’équilibre tenu avec succès par le tilleul et c’est quelque chose qui reste obscur ou aléatoire, qui contraste avec la manière très nette dont se découpent dans la luminosité du ciel la construction en trois plans successifs et superposés du toit d’ardoise de la vieille chapelle. (1984)