Du chemin en corniche qui surplombe la longue clairière en creux, il attire tout de suite mon attention: un arbre large et léger à la fois. Sa silhouette serait un peu déséquilibrée par les deux branches courbes qui se détachent sur la droite, s’il ne penchait juste ce qu’il faut à gauche pour compenser. Je dévale le talus d’herbe rase et vlan je me flanque le cul par terre dans l’herbe boueuse. Vite debout, et bien crotté, je patauge vers la lisière en face, dont le chêne palustre est l’avant-garde. Des chiens se poursuivent ou pistent les baballes fuyantes sur la pelouse gorgée de pluie, j’entends leurs pattes qui clapotent… Autour du pied étalant ses cannelures, les feuilles roux foncé jonchent le sol et leur pagaille d’aplats aux dents aiguës composent avec l’herbe aux touffes hirsutes une harmonie de couleurs complémentaires. A cent mètres en oblique, un peu plus loin sur le talus d’où je viens de dévaler, un autre chêne, de variété rare avec ses déconcertantes feuilles de laurier, se dresse puissamment, et lui aussi sans lourdeur. Je suis donc remonté dans ses parages, jusqu’à son pied qui s’évase et c’est ainsi qu’il traîne la patte en haut de la pente afin de s’y ancrer, tout en bas dans les creux s’étagent des polyphores de mauvais augure. Comme je touchais tantôt le tronc gris un peu rongé du premier chêne je caresse maintenant l’écorce verte à petites côtes du second, puis je ramasse une feuille lancéolée dont rien n’indiquerait a priori qu’elle est d’un chêne. Près de l’arbre, sur une rampe de roller à deux vallons et peinte en bleu, un adolescent harnaché et casqué se balance à chocs sourds d’une vague à l’autre. Trois autres jeunes l’interpellent: « comment tu t’appelles-toi, et telle fille tu la connais, elle t’a parlé de nous ? » Est-ce que ça me regarde les histoires de drague un peu louvoyantes ? D’un regard à l’autre vers les deux feuillages en perdition, où le roux entache le vert, je vague et vacille par un fil de brume où se dandine un instant une jolie rousse en anorak vert clair, vaguement indifférente aux fausses nonchalances des garçons. C’est comme je le dis : chacun vague à sa façon… (1998)