Elle se gavait de noix fraîchement cueillies. Pourquoi m’en a-t-elle fait un souvenir ? Mince écaille du roman, les envies impérieuses: dans une agitation croissante ses doigts maculés de brou palpaient sur son ventre la forme du doute, mon avenir. Coquilles en morceaux, cerneaux grignotés par la mère: être ainsi en célébration intime…
Il y a des îles en l’air, des îles dans le ciel, les nuages, et en mai, plutôt début du mois, les fleurs des cerisiers, plutôt fin du mois, les fleurs des pommiers. Le jardin serait inondé de soleil et là-bas le jeu de la lumière sur le pré gras qui scintille, où la brebis n’accepte pas les caresses, donc je ne tente plus de la déranger. Les envolées des oiseaux c’est malin si le souvenir est, hors saison, entre printemps et automne, une noix dans l’herbe gorgée d’eau. Et là est l’absence accrochée de guingois à la ramure fourchue où regrimpent les souvenirs de l’enfant que je porte encore à califourchon sur une branche en forme de potence. Je la saisissais parce qu’elle était la plus basse, horizontale, qui depuis a été sciée, et parce que je ne pouvais aller plus haut, je restais agrippé des mains et des pieds dans la posture du paresseux ou du singe pensif, la position guère confortable n’était plus celle du foetus… Il m’arrive encore, à peu près une année sur deux, de tourner en rond autour de l’arbre, l’oeil scrutant les bogues vertes dans l’herbe verte; sitôt fendues, éjecter la douille, pardon la noix fraîche, se maculer à son tour les doigts de brou tenace… Mais tout cela ne serait que simulacre; il y a en fait, comme sont le corps et l’esprit, d’une part un noyer qui est devenu le plus grand arbre du verger de mes parents, de l’autre l’arbre d’antan qui est en moi, ami d’enfance et témoin de mes origines. (1986)