Face au château, au coin d’un long mur de briques couvert d’une treille de rosiers aux fleurs vermillon, subsiste une souche gris-de-cendre. Les ronces envahissent déjà le socle bas et très large où bée un creux dont les bords s’effondrent. La souche de hêtre est si vaste qu’elle incite à servir de banc intime pour les enfants ou les amoureux: là nous nous asseyons, les jambes calées à l’intérieur. D’abord attirée par la présence, quelque peu maladive à vrai dire, du rejeton aux ramilles très graciles, qui pousse à côté du vestige de l’ancêtre, notre attention est bientôt requise par un étrange défilé qui devient vite un amusant spectacle. Les invités d’une réception passent un à un ou par couples. Puisqu’ils ont dû abandonner leurs voitures au parking, les voilà contraints de rejoindre le château en s’exhibant aux familles flâneuses d’un samedi après-midi ensoleillé, où se mêlent flamands rigolards, marocains en djellaba, sportifs aux jambes nues… Il faut voir les mondains raides et compassés, d’autant plus ridicules qu’ils plastronnent mal à l’aise. Patricia et moi nous en amusons beaucoup et notre hilarité indiscrète nous attire quelques oeillades peu amènes. Non mais, il faut les voir: les hommes grotesquement majestueux, avec ou sans bedaine, tous vêtus du même smoking où les galons de soie luisent sur la couture du pantalon; les femmes en robes longues, forcées de trottiner menu, les genoux prisonnier de l’étoffe étroite. Nous guettons le faux pas qui mettra en péril l’architecture bringuebalante d’une coiffure au chignon baroque, nous admirons l’effort d’un galantin qui se meurtrit la bouche dans un rictus de convenance, on dirait qu’il joue au roi des animaux, à l’instar du lion gigantesque ornant le blason au-dessus du portail. Amusements garantis! Les rupins au château pour les minauderies empesées, nous à la souche qui sert de reposoir à notre gaieté complice! (1984)