Un arbre beau comme la bienveillance.

Dès l’entrée du parc Marconi à Forest, on voit en quelques images un résumé de notre monde, à droite le mot orgie dessiné à lettres très larges et sur la gauche le bâtiment de la Justice de Paix aux murs constellés de signatures colorées, sur le perron gît la dépouille d’un drapeau belge, dont apparaît surtout le noir, l’étoffe gorgée par les intempéries, car c’est pluie diluvienne et les bourrasques secouent les arbres. Voilà entre deux rues un lieu de passage sombre, le lierre tapissant les murs en abondance, bien peu s’y arrêteraient pour regarder, un instant de grâce, le tilleul qui s’épanouit au milieu du parc, dont l’autre côté s’ouvre sur l’arrière d’un hôpital, par-dessus quoi une grande cheminée pareille à celle d’une usine fume en face d’un château d’eau désaffecté. Là, dans l’hôpital, derrière mur et porte blancs, repose Julien qui est mort aujourd’hui. Il fut d’abord et toujours, envers et avec les autres, un homme amical, bienveillant. Ouvrier imprimeur, il répéta des années durant les gestes qui composait méticuleusement la trame des vides et des mots, les mots taillés dans le silence, puis jusqu’à l’usure des poignets soulever et basculer les rames ou les rouleaux de papier. Promeneur dans Bruxelles, il arpentait la mémoire de la ville, et au cours de ses traversées il aurait sans doute aimé porter ici son regard, à hauteur d’homme, vers la cicatrice de greffe, fragmentée sur l’écorce en légères protubérances, ou plus haut, contempler les archipels jaune vif qui tranchent sur les revers argentés du feuillage aux rameaux discrètement pleureurs. Choisir d’être un homme bienveillant, malgré que vivre jamais ne soit facile, demeurer fidèle à cette ligne avec le sourire, qui dira combien cela implique le sens de l’honneur, un courage tranquille, une élégante simplicité ? A telle image s’élèvent en courbes verticales et déliées les branches nues du tilleul avant de déployer ensemble dans la lumière leur vaste panache feuillu. On verrait pourtant les rafales les bousculer à faire peur sans bien comprendre quelle force il faut pour résister longtemps, toute une vie jour après jour, jusqu’à ce qu’un excès de souffrance la brise presque sans un cri. (1998)

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Un commentaire

  1. Antonio Moyano
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    Je découvre ce site en lisant votre feuillet collé derrière une colonne noire dans l’expo Constellation Jacques Izoard, et je ne l’ai vu que lors de ma seconde visite. Très discret – trop peut-être. Mais je l’ai repéré, c’est l’essentiel. Je m’en irai donc DANS VOS ARBRES peu à peu.

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